Sylvia R. est originaire de Tamatave, le grand port de Madagascar situé dans l’Est de la Grande île. Elle est venue à La Réunion, il y a dix années pour ses études, mais elle a décidé de rester et y a fondé une famille. « La Réunion, c’est un peu comme Madagascar. Nous avons la même chaleur humaine, le climat est à peu près pareil que celui de Tamatave. Mais le plus gros avantage se situe au niveau de la qualité de vie qui est indéniable», explique-t-elle.

Racisme dissimulé

Depuis près d’une décennie, Sylvia R. n’a pas eu trop à s’inquiéter pour elle et sa famille. Le vivre ensemble réunionnais était une garantie tangible d’une belle harmonie sociétale. Mais depuis quelques années, « il y a un changement lent mais pernicieux », se plaint-elle. « Les insultes sont plus nombreux. La tension est beaucoup plus importante qu’auparavant. Je pense que c’est lié au marasme économique actuel », explique celle qui habite à Saint-Leu. En effet, la bâtisse réunionnaise commence à vaciller. Les actes de racisme deviennent de plus en plus nombreux. Les chiffres peuvent en témoigner. Il y a une hausse de 5 à 10 % de plaintes pour des propos et des actes racistes. Le Cran (Conseil représentatif des associations noires) avait regretté en 2014 la présence très forte de « racisme dissimulé ». Selon l’association, on entend souvent des expressions comme « Pèce ti comor » dans la cour de récréation, avec des enfants qui refusent de s’asseoir à côté d’un Comorien car il « sent mauvais ». Fondamentalement, les enfants n’ont pas cela à l’esprit, c’est leur parent et la société qui leur insufle l’idée. L’expression consacrée est « on ne naît pas raciste, on le devient ». Les Malgaches et les Mahorais en sont victimes également.  Un rapport publié il en 2010 par le Conseil économique social régional (CESR) est édifiant : 42% des Mahorais et Comoriens pensent que les Réunionnais sont peu accueillants. 21% des Mahorais se sentent rejetés par les Réunionnais. Plus frappant encore, 44% des Mahorais interrogés dans le cadre de cette enquête ont assuré avoir été victimes du racisme.

Concepts

Comment en-est-on arrivé là, alors qu’à la base la société réunionnaise a été bâtie sur des vagues successives d’immigration ? Le vivre ensemble est mis à mal par les nouvelles vagues d’immigration qui sont régulièrement stigmatisées. Chaque nouvel apport de l’extérieur fait les frais de rejet, avant une intégration voire une assimilation qui prend souvent du temps. C’est un phénomène qui est visible ailleurs comme les Italiens en France ou plus récemment les personnes d’origine magrébines. Dans son essai « Concepts pour penser créole », Aude-Emmanuelle Hoareau esquisse des explications sociologiques et historiques pour cette situation. « (…) Et si les hommes se souvenaient du drame de l’esclavage qui les a conduits à mépriser le Noir africain, à le traiter comme un être inférieur par nature, cela changerait-il les choses ? (…) L’homme réunionnais n’a-t-il pas des bouc-émissaires comme le zorey (le métropolitain), ou le komor (le comorien) ? », se questionne-t-elle. Dans cet extrait, Aude-Emmanuelle Hoareau part du constat que le racisme est à la fois subi et exercé à la Réunion. En tout cas, saluons les efforts fournis par des associations au niveau des quartiers pour renforcer le concept de « vivre ensemble » et il est important de souligner que les actes racistes ne sont les faits que d’une frange mineure de la société réunionnaise. Sylvia R. ne regrette en aucun cas son choix. « La Réunion est une île formidable. Je me sens Réunionnaise et Malgache à la fois. Ne laissons pas ces personnes gâchées cette formidable énergie qui anime « notre » île ».