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Rogaton : de la bonne chair pour souder les familles réunionnaises

Le rogaton est un art de vivre, un agrégat de mets et de souvenir pour se remémorer des bons instants passés lors du mariage. Le rogaton est un symbole réunionnais.

La case est envahie par la douce fragrance de mets qui siffle gentiment sur le feu. La recette de quiche de légume qui fera partie du rogaton, « grand-mère la garde jalousement », esquisse Nicolas, la trentaine. Son air débonnaire contraste avec celui de sa belle-mère fiévreusement occupée à mijoter les plats qui seront servis à la famille en compagnie.  En aparté, l’octogénaire clame presque avec un sourire à peine voilé, « il faut des épices, pour moi c’est le combava et beaucoup d’amour pour faire l’amalgame des plats ».

Famille

« On vient de marier le dernier », la grand-mère exulte. Les parents sont aux anges. Le mariage de leur dernier a eu lieu la veille. Une cérémonie fastueuse qui s’est déroulée dans une salle dans le Sud. Tous les amis et la grande famille étaient présents pour ce jour empreint d’émotion. La journée s’est déroulée en mode accéléré si bien que les jeunes mariés n’ont pas pu converser très longtemps avec la famille élargie et l’ensemble de l’assistance venue en masse. Aujourd’hui, ce sera la séance de « rattrapage ». « Et une occasion à peine voilée de refaire la fête », apostrophe Guillaume ami d’enfance de Nicolas, qui a encore visiblement la gueule de bois. Onze heures. Toute la famille est réunie dans la maison familiale dans les Hauts. L’on se retrouve le lendemain du mariage avec les amis du nouveau couple. Chacun est encore assez fatigué mais la joie est encore présente et les yeux sont emplis d’étoiles.  Le rogaton est un rituel post-mariage que personne ne manquerait pour rien au monde. « C’est l’un de nos secrets pour affronter les turpitudes de la vie », assure Jeanne, la mariée qui a rapidement adopté les préceptes de la famille. Le petit Jacques, son neveu, acquiesce avec sourire du haut de ses 10 ans.

Débat

Pour préparer le terrain, l’apéritif a été servi. Au menu : rhum arrangé, bière et des samossas. « Il ne faut pas en abuser. Je vais conduire », rigole un oncle. Ces réunions autour du rogaton sont aussi une occasion de « s’éduquer », de transmettre les bonnes pratiques ou de commenter les dernières actualités. Narcisse, le frère aîné, lâche : « la carrière de Bois-Blanc finira par complètement ravager cette île ». Nicolas, plus à droite dans l’âme, ne partage pas cet avis. « Il ne faut pas verser, à chaque fois, dans le fatalisme ni adhérer aux théories du complot. La Nouvelle Route du Littoral désengorgera cet axe. Tiens, Nathalie, combien de temps tu mets tous les jours pour aller au bureau ? » Mais la sœur ne veut pas entrer dans le débat qui est de plus en plus enflammé au fur et à mesure que les verres de rhum arrangé sont bus… Le rogaton c’est un prétexte de parler de tout et de discuter des derniers ragots ou des actualités du moment. Le clan a été particulièrement divisé lors de l’attaque du requin dont fut victime Laurent Chardard.

Tableau culinaire

Midi trente. Les débats sont rythmés par le bruissement des filaos et les petits hauts parleurs crachant à plein poumon du bon zouk love. Mais c’est un autre spectacle qui émerveille les yeux et surtout les papilles de la vingtaine de personnes attablées : le rogaton délicieusement mijoté par la grand-mère. C’est un pur délice, dans les traditions culinaires créoles, qui s’offre à la tablée avec le grand classique revisité comme le riz chauffé. Un peu d’oignon, d’œufs brouillés, de piment, le riz cuit restant de la veille, de la viande… Le reste du banquet de la veille est impressionnant et offrent un tableau culinaire exquis qui sent terriblement bon. L’exhalaison de ces victuailles ouvrent l’appétit et encouragent les plus grands à accélérer la cadence de leur beuverie. La convivialité est au rendez-vous. « Les personnes vraiment très proches des mariés et ceux qui ont aidé à organiser le mariage sont revenus faire la fête pour le rogaton. J’apprécie réellement de vivre cet instant avec ce cercle un peu plus restreint », esquisse Nicolas, le marié.

Décibel

La grand-mère a préparé également des brèdes pour aider à la digestion et pour redonner un coup d’accélérateur aux organismes un peu abougris par le banquet de la veille. Quatorze heures. Chacun apprécie le repas à son propre rythme. Tout le monde prend un plus de temps pour savourer le repas. Le décibel commence à monter. Un ti séga entrainant fend l’air. L’ambiance monte crescendo. Les flashs des smartphones crépitent. Les photos de la nouvelle famille seront surement balancées sur Pinterest avec celles des mets préparés. Ce qui amuse les adultes qui ne comprennent pas cet engouement pour la réalité virtuelle et pour les réseaux sociaux. « ‘Faut pas se faire choper comme Sylvia Otello », blague Guillaume. Une boutade qui a du mal à passer chez certains, mais qui fait rire l’assemblée. Le soleil décline lentement sur les Hauts. La température suit la courbe descendante mais l’atmosphère est toujours à son summum. Les jeunes mariés ont convié un photographe pour couvrir cette journée inoubliable. Ils convoleront en noce dans quelques jours, avant de retourner à la réalité. Cette journée autour du rogaton jette les jalons d’une nouvelle famille. La famille des deux côtés a tenu à ce que cette tradition soit respectée. « C’est une bonne base pour affronter la vie. Les deux familles sont dorénavant liées. Gardons en esprit cette journée mémorable », invite la grand-mère. A dix-heures du soir, à peu près tout le monde a regagné le foyer. La journée s’achève. Une parenthèse de bonheur se renferme. Place au train-train quotidien…

 

Crédit photo : Olivier G.

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