Chaque année, à La Réunion, la période d’envol des jeunes pétrels de Barau coïncide avec un pic d’échouages préoccupant. En cause : la pollution lumineuse, qui désoriente ces oiseaux marins endémiques lors de leur premier envol nocturne. Attirés par les lumières artificielles, ils s’échouent au sol, incapables de repartir. Nombreux succombent à la prédation ou aux collisions. Pour enrayer ce phénomène, la campagne Nuits sans lumière, menée jusqu’au 7 mai, mobilise une large partie de l’île.
La colonie de pétrels de Barau est estimée entre 15 000 et 20 000 couples sur l’île, avec environ 10 000 jeunes prenant leur envol chaque année. Mais pour une proportion importante d’entre eux, la traversée initiale vers l’océan Indien se transforme en piège. Les nuits éclairées, surtout lorsqu’elles sont couvertes, intensifient la désorientation des poussins. En 2024, 1 351 échouages ont été recensés, un chiffre largement supérieur aux prévisions.
En 2025, les projections estiment entre 950 et 1 300 oiseaux échoués durant la période critique, concentrée entre le 18 avril et le 4 mai. À La Possession, par exemple, 61 oiseaux ont déjà été retrouvés au sol, dont 21 n’ont pas survécu.
La réponse est coordonnée à plusieurs niveaux. Dix-neuf des vingt-cinq communes réunionnaises participent à la campagne en éteignant partiellement ou totalement leurs éclairages publics. À La Possession, 1 300 points lumineux sont coupés chaque nuit pendant un mois. Ces mesures ont un effet immédiat : une baisse significative des échouages est constatée dans les zones respectant scrupuleusement ces consignes.
Cette mobilisation locale s’accompagne d’une dynamique citoyenne. Habitants, scolaires, agents municipaux et bénévoles sont formés à reconnaître les signes de détresse chez les oiseaux et à adopter les bons réflexes en cas de découverte : mise en carton, absence de nourriture ou d’eau, et signalement aux autorités.
La Société d’Études Ornithologiques de La Réunion (SEOR) joue un rôle central. Elle recueille, soigne et relâche les pétrels récupérés. En 2022, sur 630 oiseaux recueillis, 553 ont pu être relâchés, illustrant l’efficacité croissante des soins prodigués. La SEOR poursuit également ses efforts sur d’autres fronts, notamment la réduction des pesticides et la lutte contre les prédateurs, comme les rats ou les chats, qui menacent les nids.
La campagne Nuits sans lumière illustre la capacité d’un territoire à conjuguer politiques publiques, expertise scientifique et engagement citoyen pour préserver une espèce en danger. L’extinction partielle de l’éclairage, combinée à un travail de sensibilisation rigoureux, a permis au fil des années d’améliorer significativement les chances de survie des jeunes pétrels.
Depuis la création de la SEOR en 1997, la population de ces oiseaux a doublé, témoignant des effets positifs d’une mobilisation continue. À La Réunion, les pétrels de Barau ne sont pas seulement une richesse biologique : ils sont devenus le symbole d’un effort collectif en faveur du vivant.