La Réunion sera le théâtre de la deuxième sortie en Outre-mer de Sébastien Lecornu, promus à ce portefeuille en faveur du remaniement, après la Guyane, du 17 au 20 août. Au menu de cette visite : la rentrée scolaire, la gestion de la crise du Covid-19 à La Réunion, la rencontre avec les élus locaux et surtout l’épineuse question de la mise en place un plan de relance économique propre à chaque territoire ultramarin.
La nomination de Philippe Gustin au poste de directeur de cabinet de Sébastien Lecornu est loin d’être passé inaperçu. Ce haut commis de l’Etat est un fin connaisseur de l’Outre-mer. Ancien secrétaire général de la préfecture de Mayotte, Philippe Gustin avait notamment été nommé en septembre 2017 délégué interministériel pour la reconstruction des îles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin après le passage d’Irma.
Binôme
Philippe Gustin a débuté sa carrière comme enseignant en Haute-Saône en 1979. Il a rejoint ensuite l’office franco-allemand pour la jeunesse, effectuant un échange de poste en RFA (République fédérale d’Allemagne), avant de devenir enseignant à la direction de l’enseignement français en Allemagne. L’homme doit donc compenser une certaine méconnaissance des dossiers ultramarins de la part du ministre de l’Outre-mer. La tâche du binôme sera très loin d’être aisé, tant les défis dans l’Outre-mer sont nombreux et…éclectiques.
« Lors de mon déplacement à La Réunion, je compte travailler sur des solutions sur mesure. Ce plan de relance aura pour fil conducteur la transition écologique et s’appuiera sur trois axes : la relance par la commande publique ; l’accompagnement poussé de certaines filières (je pense à l’agriculture, au tourisme ou au BTP) ; la mise en place d’outils d’ingénierie en plus de l’accompagnement financier ».
Ce sont les grandes priorités dressées par le ministre dévoilées durant une interview avec le quotidien Clicanoo. Sébastien Lecornu et Philippe Gustin chassent en terrain connu mais miné. Car, depuis de nombreuses décennies, les promesses ont été nombreuses, mais la réalisation est encore bien maigre. Les défis inhérents au développement de La Réunion sont extrêmement importants.
Croissance réunionnaise
Le premier est la démographie galopante. Selon les projections de l’INSEE, la population réunionnaise pourrait dépasser le million d’habitants en 2030. Sur un espace de 2 700 km², la densité de population atteint 333 habitants / km² ce qui fait de l’île la troisième région la plus densément peuplée de France, derrière l’Île-de-France et la Martinique.
Toutefois, en raison de son relief montagneux, la population se concentre principalement dans les zones littorales si bien que la densité atteindrait, en réalité, 817 habitants / km². Entre 2009 et 2018, la population a cru en moyenne de 5 100 habitants par an (+ 0,6 % par an). La croissance réunionnaise reste plus dynamique que celle de l’hexagone (+ 0,4 % par an), même si un léger tassement se fait remarquer.
Le nombre de naissances reste sous la barre des 14 000 en 2017. Cette baisse est liée uniquement à celle du nombre de femmes en âge d’avoir un enfant (âgées de 15 à 50 ans) et non à une baisse de la fécondité. En outre, 4 700 décès sont intervenus en 2017 : c’est un niveau élevé en comparaison de la décennie 1990 (en moyenne 3 400 décès par an). Les générations du baby-boom des années 1950 arrivent maintenant à des âges où la mortalité est plus forte.
« Le maintien d’un taux de natalité relativement élevé n’est pas seulement affaire de structure de la population, car l’indice synthétique de fécondité, qui est un indicateur indépendant de cette structure, est estimé à 2,43 enfants par femme en 2003 (..), valeur similaire à celle de 1999 et supérieure à celle de 1996 qui était de 2,26 enfants par femme. Un autre critère usité pour énoncer la fin de la transition porte d’ailleurs sur la valeur de l’indice synthétique de fécondité qui doit atteindre le seuil de remplacement des générations, c’est-à-dire environ 2,10 enfants par femme. Il y a là une vraie question sur la nature de ce plateau démographique », explique Frédéric Sandron, dans une analyse intitulée « Dynamique de la population réunionnaise (1663-2030) ».
Un plan ad’hoc pour La Réunion
Dans une autre étude intitulée « La population réunionnaise. Analyse démographique », l’auteur prévient que « l’Ile de la Réunion sera peuplée d’un million d’habitants vers 2030 et cette croissance s’accompagnera de profondes modifications structurelles. La population réunionnaise est de fait appelée à connaître un vieillissement rapide et une importante transformation de la pyramide des âges. Les impacts sur les flux migratoires, l’emploi, le logement, l’aménagement du territoire et la santé publique, qui conditionnent les perspectives de développement de l’île, sont ainsi au cœur des réflexions des chercheurs et des décideurs publics ». La question est de savoir si les décideurs publics et les Réunionnais eux-mêmes sont-ils prêts à affronter de tel bouleversement.
Dans son interview, le ministre de l’Outre-mer a évoqué certains blocages institutionnels. « Une discussion de fond est nécessaire avec les acteurs locaux à ce sujet. Je tiens à ce que (le plan de relance) soit élaboré avec l’ensemble des acteurs locaux politiques, économiques et sociaux pour qu’il corresponde aux besoins du territoire. C’est notamment le but de mon déplacement : rencontrer les élus, les chambres consulaires, les représentations syndicales… Je dédierai une majorité de mon temps à ces rendez-vous de travail pour déboucher sur le plan le plus “ad hoc” possible ». Justement depuis des années, divers plans ont été mis en œuvre mais ils se sont butés sur les réalités pendantes de l’île : la pauvreté qui découle d’un taux de chômage important et du facteur.
En 2017, 38 % des Réunionnais vivent sous le seuil métropolitain de pauvreté. Même si depuis 2007, la pauvreté recule sensiblement de même que les inégalités de revenus, la pauvreté reste beaucoup plus importante qu’en métropole (14 %). « En effet, le déficit d’emplois reste important sur l’île. C’est particulièrement le cas dans de petites communes rurales, où l’emploi est rare : plus d’un habitant sur deux vit sous le seuil de pauvreté à Sainte-Rose, Cilaos, et Salazie. Pour autant, avoir un emploi ne suffit pas toujours pour éviter une situation de pauvreté. Les revenus des Réunionnais sont plus faibles et sont fortement dépendants de l’aide sociale, qui permet de réduire la pauvreté et les inégalités de revenus », souligne Ludovic Besson de l’Insee.
Effet de ciseau
La Réunion reste fortement tributaire des aides sociales. Les dépenses sociales par habitant s’élèvent à 1 394 euros, soit presque le double de la moyenne nationale qui est de 793 euros par habitant. « Les seules dépenses liées au versement du RMI/RSA s’élèvent à 497 euros par habitant contre 106 euros brut en moyenne métropolitaine. A l’instar des départements métropolitains, les finances du conseil général sont soumises à un effet de ciseau lié, d’une part, à la croissance des dépenses de prestations sociales, notamment celles du RSA, et, d’autre part, la stagnation, voire la diminution des ressources du conseil général », avait souligné un rapport commandé par le Sénat en 2012. « Le versement des prestations sociales (allocations familiales, prestations logement et minima sociaux) et le prélèvement des impôts directs réduisent fortement les inégalités de revenus et la pauvreté. Sans cette politique de redistribution, plus de la moitié des Réunionnais (51 %) vivraient sous le seuil de pauvreté, soit 13 points de plus qu’avec cette redistribution », tempère l’INSEE.
Jean-Pierre Sueur, président (Soc. – Loiret), Christian Cointat (UMP – Français de l’Étranger) et Félix Desplan (Soc. – Guadeloupe), les rapporteurs de la commission d’enquête au sénat avaient, une fois de plus, pointé du doigt les dysfonctionnements systémiques réunionnais et tenté de proposer des pistes de solution qui demeurent, jusqu’à maintenant, à l’ordre du jour. La pauvreté ambiante est également exacerbée par la vie chère.
« Les facteurs expliquant le niveau élevé des prix sont nombreux et sont, pour la plupart d’entre eux, inextricablement liés à la condition ultramarine du département, à l’opacité entourant la comparaison des prix et à la spécificité du jeu de la concurrence. Malgré la complexité du problème de la vie chère, plusieurs facteurs permettent d’expliquer l’importance du niveau des prix pratiqués en outre-mer et à La Réunion. L’éloignement, l’insularité et l’étroitesse du marché jouent un rôle fondamental dans l’explication de ce phénomène qui est amplement aggravé par le manque de concurrence », soulignent les rapporteurs.
Tant que cette problématique fondamentale ne sera pas résolue, La Réunion continuera à demeurer éternellement un département assisté. « Chacun est conscient à la Réunion des vulnérabilités cumulées du territoire, encore aggravées par des crises épidémiques – chikungunya en 2006, dengue en cours – ainsi que par la longue “crise requins”. Autant d’épisodes désastreux pour l’économie », détaille la chercheuse Christiane Rafidinarivo.
Initiatives
L’Exécutif semble prioriser la dynamique de la jeunesse pour relancer les DOM, notamment La Réunion. Malgré l’échec relatif des contrats aidés, « Le Premier ministre a fait des annonces pour la jeunesse qui doivent être détaillées lors du Conseil des ministres du 24 août. Je serai amené à affiner ces propositions lors de mon déplacement », avait promis le ministre Sébastien Lecornu durant son interview. Bien que fort louable, les initiatives de l’Exécutif se heurteront à un mur, comme toutes les autres qui avaient été déployées, si les problèmes spécifiques – pour ne pas dire endémiques – de La Réunion ne sont pas considérés.
Ce n’est pas un hasard si les rapporteurs de l’étude ont coché en premier de leur liste de propositions, les sujets concernant la vie chère. « (Il faut) modifier profondément, par des normes législatives et réglementaires, les mécanismes qui se traduisent par des monopoles de fait dans le secteur de la distribution à La Réunion. (Il faut) ouvrir le marché réunionnais aux pays voisins, pour une liste de produits de première nécessité. (Il faut) diminuer les taxes d’importation des produits de première nécessité tout en augmentant celles des produits dits « de luxe ». (Il faut) réglementer le prix de l’essence et des produits pétroliers. (Il faut) assurer la transparence de la formation des prix auprès des consommateurs. Faire connaître les prix des mêmes produits en métropole. (Il faut) sanctionner les entreprises qui pratiquent des marges trop élevées. (Il faut) renforcer très sensiblement les moyens de l’autorité de la concurrence pour les départements d’outre-mer », avaient-il détaillé.
Dialogue
Quand Emmanuel Macron s’était rendu à La Réunion, il avait plaidé pour un soutien public aux filières économiques porteuses. Il avait notamment expliqué qu’ « on est en train de changer de système, on est au bout d’un modèle ». Notamment, l’argent obtenu en faveur des « chantages », l’argent public obtenu par les mouvements sociaux. Il a fait notamment référence aux Gilets Jaune. Mais le problème est encore entier, les Réunionnais, comme toute le reste de l’Outre-mer, est à peine audible par les pouvoirs publics sans des manifestations sociales.
Comme le vénérable quotidien fondé par le docteur Raymond Vergès l’avait si bien noté, la conclusion d’un accord entre la Région Réunion, maître d’ouvrage de la route en mer, et le Groupement GTOI-SBTPC-Vinci, bénéficiaire du marché est une manière de « déminer le terrain dans la perspective de la prochaine visite à La Réunion du ministre des Outre-mer. Celle-ci étant prévue avant le 15 septembre, cela signifie que Sébastien Lecornu n’aura pas à faire face à des barrages de camionneurs ou à un blocus de la Région durant sa visite ministérielle. N’est-ce pas cela le plus important pour les différents acteurs de la NRL ? Il est facile d’imaginer qu’une visite émaillée d’incidents n’aurait pas été dans le sens d’un dialogue serein en vue de demander à l’État de venir en aide à la Région pour financer la seconde partie de la route en mer »